Tournan-en-Y

Les jeunes du 77 s’arrachent à moto

Les Bike Life Ryderz sont 8 copains de Seine-et-Marne soudés autour d’une nouvelle religion : le cross bitume. Une discipline illégale qui consiste à réaliser des figures acrobatiques en moto de cross.

Riyad fait partie des exceptions. Un des BLR les plus motivés, il est capable de “frotter la bavette”. Cette figure emblématique nécessite de braquer le cross quasiment à la verticale jusqu’à ce que le garde-boue frotte contre le goudron.

En 2017, un jeune motard du nom de Walid s’est tué sur une nationale. Carrossier et membre des BLR, Yanis a lui aussi frôlé le pire.

“J’étais, forcément du coup, en roue arrière, [...] et j’ai perdu l’équilibre.” Le jeune homme tombe alors brusquement. “Je me suis relevé, je me suis retourné et premier réflexe : je suis allé voir ma moto. Est-ce qu’elle va bien ? [Après] j’ai enlevé mon bas et, en fait, j’avais un petit trou au niveau du genou.”

Pour certains bikers, la première chute engendre un trop grand choc. “Il y en a, ça met des blancs, et ils arrêtent tout.”

Pour les membres des Bike Life Ryderz, il n’est pas question d’arrêter. Employé chez Intermarché, Lynden, un des meneurs du groupe, colle des étiquettes et fait l’inventaire en semaine. Jusqu’au dimanche matin où commence le “Sunday Funday”.

“Tranquille, hein. Ça va se lever, ça appelle tous les copains...

- Ça dit quoi ? Ça dit quoi ?

- On sort aujourd’hui.”

Lynden se sert de son jardin comme d’un garage. Des flaques d’huile maquillent la pelouse et des pièces de moto traînent dans l’herbe. Pendant que Lynden remplace la durite de sa Yamaha YZ125, Jason, Max et Victor préparent leurs motos de leurs côtés.

“J’ai acheté ma première bécane quand j’avais 16 ans, j’avais même pas encore le permis. Et après, bah, c’est un cercle sans fin. Tu kiffes, tu kiffes. Tu achètes plus gros, plus puissant.”

Quand les autres arrivent, Lynden peut enfin partir. “On fait notre petit chemin de route tranquille jusqu’à notre spot. Après, on passe notre après-midi là-haut. C’est notre rituel du dimanche, c’est notre religion.”

Ici, c’est la ligne. Derrière, la ville. Devant, la campagne. La ligne se parcourt vers l’avant. Puis vers l’arrière. Puis vers l’avant encore. Et ainsi de suite. La ligne ne se franchit pas, elle se parcourt sans fin.

Il suffit d’une route bien droite, plutôt longue et sans passage de voitures. La ligne préférée des Bike Life Ryderz se trouve en plein milieu d’une zone industrielle, pas loin de Tournan-en-Brie. “Ici, on dérange personne et on n’est pas dérangé”, explique un des membres du groupe.

Pourquoi Lynden va-t-il risquer son genou un dimanche matin d’hiver en Seine-et-Marne ?

“Tu es dans ton petit monde, tu penses à plus rien à part ce que tu es en train de faire, tu écoutes ta bécane. Tu t’entends faire du bruit. Tu es en total kiff. Tu penses à plus rien, tu penses plus qu’à ça : la moto. Et le reste, ça existe même plus.”

Les cross ne sont pas homologués et les figures mettent en danger la vie des conducteurs et des passants. Mais que fait la police ? Pas grand chose. Les camionnettes de la police municipale, c’est un peu maigre face à des motos tout-terrain.

Arnaud Cornali, chef de service de la police municipale de Gretz-Armainvilliers, avoue être démuni avec un effectif de “4 policiers”. “Ils se soustraient aux vérifications systématiquement en faisant des acrobaties et des outrages aux forces de l’ordre”, raconte ce fonctionnaire.

Et les courses poursuites ? Impensables. Les policiers, aussi bien aux États-Unis qu’en France, craignent surtout qu’un motard se tue en fuyant. Les agents préfèrent essayer “d’identifier le conducteur” sur son cross afin “de rédiger une procédure de refus d’obtempérer”. Mais la stratégie la plus efficace reste de débarquer sur la ligne à l’improviste.

Mais au cross bitume comme à la pêche, quand une ligne saute, on la remplace. Aujourd’hui, les Bike Life Ryderz roulent à Jablines, à 20 kilomètres au nord de Tournan.

Faut-il réserver un grand espace aux adeptes du cross bitume ? À une époque, le maire de Wissous, ville située à 50 kilomètres à l’ouest de Tournan, laissait une zone fermée à la circulation aux bikers, le vendredi soir et le samedi. Lynden s’y verrait bien. “Ça pourrait être avantageux pour tout le monde. [...] Nous, ça nous avantage, par rapport au fait qu’il y a moins d’accidents.” Au-delà du frisson, c’est le désir d’être reconnu qui pousse les BLR.

On peut être à pied et être un BLR. Max, jeune élève de terminale, n’aspire qu’à sa première monture d’acier. “C’est ma passion, j’en rêve carrément d’avoir une moto.” En attendant, ce lycéen, initié à la photographie par son père, mitraille ses copains en pleine acrobatie.

Grâce aux photos postées sur les réseaux sociaux, Max fait connaître les Bike Life Ryderz en France et au-delà.

“Le but de se faire connaître, c’est surtout de pouvoir faire des rencontres”, explique le jeune photographe. Sur Instagram, YouTube et Facebook, les bikers du monde entier rivalisent par des photos de leurs exploits.

Sur Instagram, Max a discuté avec le photographe et vidéaste américain SIG, une légende de la bikelife. SIG lui passe à l’occasion des images inédites d’acrobaties prises aux États-Unis, le pays de naissance du cross bitume.

Les Bike Life Ryderz aspirent avant tout à l’air du large. “Les meilleurs moments, on les passe en baraude”, s’accordent-ils à dire. Lors de ces virées en groupe, les motards partent, loin de préférence, et conquièrent la route aux yeux de tous.

La dernière baraude de légende, c’était à Halloween, en octobre 2017. “Là, c’était un gros bordel.” Au milieu de centaines de bikers venus de toute l’Île-de-France, les Bike Life Ryderz ont descendu la plus belle avenue du monde. Face à l’Arc de Triomphe, enfin évadés.

Vidéos et photos: Raphaël Guillet

Développement du site: Constance Daire, Jan-Hendrik Maier, Jules Bonnard et Pierre Romera

Texte: Charles-Albert Bareth